Le Mot du metteur en scène …

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Comme une loupe révélatrice…

Outre la merveilleuse aventure humaine, mon plaisir de la mise en scène réside dans la nouveauté, la recherche, la découverte d’univers non encore investis. Je n’avais pas encore travaillé sur le couple. La diversité me fait vivre, la redite me consterne. Dès lors, ma façon d’approcher la création est différente selon le thème, le type, le propos et la forme du texte. Au départ, j’ignore où je vais et parfois même comment ! Dans le cas présent, j’ai commencé par interroger une série de personnes sur leurs visions de la vie en couple. J’ai aussi beaucoup observé … y compris dans ma propre vie ! Ce que j’appelle la nourriture « spirituelle » particulière à chaque projet n’a pas été difficile à trouver.

Progressivement, mes choix pour la création de « Corps et désaccords »  se sont révélés tangibles et concrets. Je n’ai pas de prédilection particulière pour le théâtre « réaliste », mais compte tenu des circonstances, il m’a semblé que cette manière de faire serait la plus adéquate pour servir le texte de Valérie Moeneclaey. Bien sûr, il y aurait d’autres façons pertinentes de s’y prendre!

Art de l’éphémère, un spectacle n’existe qu’en fonction du contexte (époque, public visé, conditions de production, etc.).

Dès la première lecture, le texte m’a intéressé. Assez vite, j’ai entrepris un déchiffrage avec un ami psy afin de préciser la relation entre les personnages. Expérience hors du commun que de mesurer la réalité virtuelle des protagonistes de papier ! Entendons-nous : il ne s’agit pas d’embêter le public avec des prétentions fumeuses, ni de lui demander une thèse sur la pensée subconsciente de l’auteur. A chacun son rôle ! A vrai dire, le spectateur n’a pas besoin de connaître les ficelles. Il n’est même pas indispensable qu’il se pose des questions, ni qu’il décode ce qu’on a laborieusement construit. Il peut ressentir beaucoup de choses sans les mentaliser. Il suffit qu’il soit touché, sans trop savoir ni pourquoi ni comment. Cependant, je suis convaincu que la richesse d’une démarche théâtrale tient aussi à l’existence de plusieurs niveaux de lectures, accessibles à ceux et celles qui le désirent… Pour moi, le sens du théâtre n’est pas juste d’amuser la galerie, c’est aussi emmener le spectateur dans un voyage émotionnel, l’inviter à grandir, lui tendre une occasion de progresser…

Comment je procède ? Ma démarche initiale est d’abord de relever, décoder ou préciser le sens des éléments en présence (intentions de l’auteur, cadre et contexte, scénario, personnages, texte et didascalies…) ; ensuite, d’élaborer une cohérence entre images, sons et sensations, histoire de guider le public dans la bonne direction. Pour parler au spectateur, il faut savoir quoi lui dire.

Théâtre « regard », « reflet », « témoin », « métaphore » de la vie ! L’image doit autant que possible ajouter quelque chose au texte : le compléter, le corriger, le contredire, le surprendre, l’inventer, l’éclairer d’une façon particulière… Fameux programme, superbe tension vers cet idéal qu’on n’atteint jamais tout à fait !  Car mettre en scène n’est pas simplement illustrer le texte, pas plus que le décor n’est un embellissement de l’espace (même si dans ce cas-ci il l’illustre effectivement !). Chaque élément de décor possède plusieurs fonctions, plusieurs sens précis : induire des énergies différentes, justifier les déplacements, modifier les rapports entre les personnages, soutenir des intentions spécifiques…

Quoi de plus contradictoire au théâtre que de  « jouer »… la sincérité ? ! La véritable sincérité ne se joue pas, elle est, elle se vit ! Hélas, il est tentant pour l’interprète de se réfugier dans des techniques plus ou moins fallacieuses pour y faire croire… Dans mon accompagnement des acteurs, j’ai cherché à éviter le ton de la comédie, qui risquait de créer une distance émotionnelle. Le travail des comédiens ne fut pas simple : le défi a été d’utiliser leur authenticité personnelle, leurs propres forces, leurs propres failles… C’est cela « mouiller sa chemise » ! Gageons que Céline et Bernard, que je remercie tous deux pour leur générosité, sauront ce soir vous émouvoir, et nourriront votre conception du couple… Bon spectacle !

Vincent Libon  

 

En complément, je ne résiste pas à l’envie de vous partager un court mais magnifique texte de Peter Brook – grand Homme de Théâtre –  :

Petites réflexions sur le Théâtre

Une pièce de théâtre est comme un filet : elle a le pouvoir de capter toutes les nombreuses sortes d’êtres humains qui composent un public et elle peut les rassembler dans une seule et unique expérience.

Quelle sorte d’expérience ? Il y a différents critères simples avec lesquels on peut mesurer la valeur de cette expérience. Est-elle riche ? Est-elle dense ? Est-elle accessible ?

Qu’est-ce que la « richesse » ? La richesse apparaît quand la pièce a des rapports, d’une manière généreuse, avec les hommes et leur processus de vie. Quand une pièce se limite à projeter des idées, elle devient facilement schématique, et pauvre.

La densité survient quand les mots et l’action d’une pièce contiennent plus qu’un seul niveau de réalité. Quand une pièce est sans ambiguïté, elle sera la plupart du temps sans densité.

L’accessibilité est présente quand un contact simple est toujours possible pour chaque spectateur. Ceci se produit souvent à travers une familiarité quotidienne avec les thèmes, mais la réelle accessibilité existe seulement quand il y a une structure subtile d’engrenages qui peut faire glisser le spectateur jusqu’aux plus obscurs niveaux de l’expérience, et le faire revenir à la vie de tous les jours, une fois de plus. L’unité de style n’est pas forcément une bénédiction. Le style est une forme d’accessibilité – qui favorise un des aspects de l’expérience humaine aux dépens d’un autre – ou qui favorise une classe sociale aux dépens d’une autre. La véritable accessibilité permet au spectateur naïf d’atteindre exactement les mêmes niveaux que ceux atteints par l’érudit et l’intellectuel.

Peter Brook

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